Le nouvel album de Jérémy Labelle, NOIR ANIMA, est une immersion dans les recoins les plus sombres de la psyché. Une nuit noire de l’âme, avec sa propre euphorie du petit matin. Depuis une dizaine d’années, le compositeur réunionnais s’est fait un nom en explorant dans ses œuvres la religion et la philosophie syncrétique. Pour son cinquième album studio, sa quête de vérité se fait introspective et NOIR ANIMA nous en apprend davantage sur la personne qui produit cette musique hors du commun.
Depuis Ensemble, sorti en 2013, Labelle associe la techno qui a tant captivé son imagination d’adolescent au maloya, musique traditionnelle de La Réunion où il vit. « J’ai toujours cherché à établir un lien parfait entre la techno – et en particulier la techno de Détroit qui est mon premier amour – et le Maloya de la Réunion, qui est mon deuxième amour et qui est profondément lié à l’histoire de l’île », explique Jérémy.
L’album Éclat, sorti en 2022, a été salué pour son virage vers le classique, mais NOIR ANIMA s’inscrit dans la continuité d’univers-île, sorti en 2017, en associant des éléments mystiques et analogiques à des pulsations rythmiques et à de l’électronique. Un profond sentiment d’équilibre apparait dans cet album, une interdépendance qui s’oppose largement à l’ère du streaming comme en témoignent les trois titres qui constituent de facto la pièce maîtresse de l’album : Voir le point, Entre-allée et Ciel.
Ces trois titres forment un voyage progressif et psychédélique, comme l’est l’album pris dans son ensemble. ‘Voir le point’ évoque un bref moment d’illumination vécu sur un dancefloor, une sorte d’horizon des événements optiques lorsque le danseur entre en transe. ‘Entre-Allée’ représente une impasse où le protagoniste est enveloppé d’un bruit euphorisant : « C’est un néologisme français pour désigner les toutes petites rues entre deux bâtiments, deux univers, deux cultures, qui se rencontrent dans cet espace non-cartographié entre les choses », explique Jérémy. ‘Ciel’ célèbre un moment de pure extase, où la tête s’élève pour atteindre le nirvana.
« Ma femme m’a réappris à danser », déclare Jérémy avec fierté. « En sortant de la période COVID, elle m’a emmené dans des soirées et j’ai redécouvert le plaisir de danser après de nombreuses années. Lorsque l’on compose de la musique électronique, on peut perdre ce plaisir, à trop être impliqué dans cette mécanique. Dans mon histoire, beaucoup de femmes m’ont apporté des choses très importantes, et je comprends l’archétype de la femme dans ma façon de penser. C’est pourquoi l’album s’appelle NOIR ANIMA, parce que l’anima est la partie féminine de la psyché humaine », déclare Jérémy, faisant référence au concept du psychiatre Carl Gustav Jung.
Jérémy cite deux autres femmes en particulier qui l’ont profondément enrichi. Sa mère, qui l’a initié à la musique électronique lorsqu’il était enfant, notamment par l’intermédiaire de la légende du synthétiseur, Jean-Michel Jarre. Et puis, il y a celle qui lui a donné son nom de famille : « En faisant des recherches ces cinq dernières années pour cet album, j’ai découvert l’origine de mon nom, Labelle. La première Labelle était une femme, une esclave. Lorsque mes ancêtres ont été libérés, l’administration coloniale française a créé de nombreux noms pour ces nouveaux citoyens, et elle a reçu celui-ci. »
La partie NOIR dans le titre de l’album fait référence au chat noir qui rôde dans sa psyché. Il ne s’agit pas de la boîte de nuit légendaire du Montmartre fin-de-siècle ou des affiches Art nouveau qui sont omniprésentes dans les cafés français, mais plutôt d’un animal spirituel hypnagogique, un chat-talisman. « Quand j’étais enfant », se souvient Jérémy, « je rêvais souvent d’un félin noir. Souvent, dans mes rêves, j’étais le félin noir. Je courais non seulement avec mes pieds mais aussi avec mes mains, et je me connectais aux archétypes de la féminité travers ce félin. Pour moi, cela représente le type d’énergie qui m’habite lorsque j’associe musique électronique et musique traditionnelle ».
Cette énergie est mise à profit sur des morceaux transcendants comme ‘Danse Chamane’, qui recrée une mélodie rituelle utilisée par le peuple San de Namibie, et ‘Instant clair intemporel’, dont le groove inexorable aidera les abstinents invétérés du dancefloor à s’en sortir.
NOIR ANIMA est l’œuvre la plus aboutie et la plus profonde de Labelle à ce jour, et la preuve que Jérémy Labelle est à jamais jungien.
Sortie le 13 octobre 2023 – Label : InFiné