Sabrina Bellaouel – Al Hadr

Après deux EPs solos sur InFiné – « We Don’t Need To Be Enemies » en 2020 et « Libra » en 2021 – le style unique de la productrice et chanteuse franco-algérienne s’épanouit avec « Al Hadr », un album de 13 titres, incluant des collaborations avec le producteur Basile3, la DJ et productrice expérimental Crystallmess, le musicien de jazz Monomite et la chanteuse Bonnie Banane, entre autres.

R&b néo-soul, transglobal punk, musique savante avec une éducation classique, gospel avec une appréciation syncrétique de la musique sacrée – cet éclectisme de genre inhérent à la génération ayant grandi avec l’ensemble du répertoire musical de notre civilisation à portée de fibre optique est loin de raconter toute l’histoire, du moins dans ce cas.

L’histoire, c’est celle de Sabrina Bellaouel, une curieuse qui parvient à donner un sens à tout cela, comme le démontrera bientôt la sortie de son premier album, Al Hadr, (qui signifie « le temps présent » en arabe).

Ce qui rend la production de Sabrina si cohérente, c’est son identité solide, faite de foi et d’amour (de soi, du monde, de la musique). Son exploration intrépide du R&B et de la soul est à la source de ses autres passions musicales. Des fondations étayées par une enfance à Bagneux, en banlieue parisienne, où elle a grandi en chantant dans des chorales de gospel. Mais aussi, un séjour de plusieurs années à Londres (Est), ponctué de voyages lointains ; des études presque simultanées en droit, sciences sociales, gestion des arts et conception musicale (!) ; un travail au noir en tant que développeur web autodidacte ; et un autre en tant que leader du groupe de reprises The Hop, au sein duquel elle a canalisé la Jill Scott qui est en elle et affiné sa voix en tant qu’instrument.

Un esprit farouchement indépendant la motive. La rencontre avec des ingénieurs du son lors d’un échange étudiants au Royaume-Uni lui a fait découvrir que les logiciels peuvent remplacer un groupe, ce qui l’a aidée à passer de chanteuse principale à productrice solo. Parallèlement, d’autres mentors – qui avaient travaillé avec certains titans du secteur – l’ont aidée à ouvrir la porte à ce qu’elle appelle « l’autogestion à 360 degrés ». Le terrain était préparé pour que ses passions et ses inspirations puissent s’exprimer pleinement dans ses productions. Les offres des labels ne tardent pas à affluer. Sabrina les a déclinées, choisissant de maintenir sa capacité d’action, face à une machine connue pour transformer ses jeunes protégé.e.s en avatars consommables. Ce n’est pas un hasard si son choix s’est tourné vers le label indépendant InFiné. Une équipe qui lui apporte la confiance, la liberté et la considération dont elle avait besoin en tant que productrice et avec qui elle partage une même vision du développement artistique. Pour InFiné, c’est un coup de cœur pour la voix de Sabrina, devenu passion en découvrant la richesse de son univers et ses capacités de production.

De nombreuses autres étapes sont venues enrichir la cheminement de Sabrina vers Al Hadr : la fréquentation du studio Grande Ville de Montreuil, où elle a collaboré avec des artistes tels que Jimmy Whoo, Bonnie Banane, Jazzy Bazz sur leurs morceaux respectifs ; l’obtention d’une maîtrise en ethnomusicologie, fruit des heures passées à la bibliothèque municipale à absorber tout ce qui va d’Arvo Pärt au ragga, en passant par le rock indépendant et la musique sacrée ; le financement de ses projets en codant pour une société de valeurs mobilières, tout en vendant des produits capillaires rue du Château d’Eau ; le lien renouvelé avec ses influences gospel formatrices – pas seulement la musique « d’église », mais aussi Stevie Wonder et Mariah Carey ; et le lien qu’elle établit entre cet ensemble et l’exploration de la spiritualité et de l’astrologie (qu’elle appelle « l’arithmétique de Dieu »).

D’ailleurs, l’un des thèmes majeurs d’Al Hadr est l’exploration du langage de la foi ainsi que celui de l’amour de soi : « La spiritualité est une partie intime de mon langage », explique-t-elle. « A la maison, en arabe, ma famille et moi n’avons pas peur de parler de Dieu, mais il est difficile d’en parler à l’extérieur, dans la société française de tous les jours…. Les non-arabophones trouvent cela étrange, voire agressif. Mais pour moi, c’est une énergie supérieure qui m’apporte l’amour de soi et la connexion aux autres. »

Conservant la conception de son album littéralement proche d’elle, Sabrina a travaillé presque entièrement sur son ordinateur portable, en utilisant des logiciels Max/MSP (IRCAM) ainsi que divers claviers ; pour développer des textures que seul le hasard peut créer : « J. Dilla a un jour utilisé une chaîne métallique pour créer un son de caisse claire, et le poids de la chaîne marque le temps avec un peu de décalage. J’aime ce genre d’accidents dans la production, c’est pourquoi j’aime enregistrer dans mon environnement immédiat, pour trouver des accidents heureux. » À ce sujet, ses voix imprégnées de réverbération et ses riffs harmoniques confessionnels, qui rappellent des artistes de R&B expérimental comme Kelela, ont été enregistrés dans sa salle de bains avec des microphones suspendus au plafond.

Bellaouel intègre aussi ses racines algériennes à sa pensée créative, comme en témoigne son utilisation des dialectes berbères « chaoui » dans ses textes et des danses traditionnelles dans ses spectacles. Elle a aussi enregistré des chœurs dans des églises et de conversations sur les plages de Tanger. Sa mère vient du désert du sud, où les célébrations sont rythmées par des musiciens locaux jouant des instruments traditionnels nord-africains, accompagnés de percussions électroniques. « On peut être berbère et ajouter de la flûte traditionnelle algérienne à un morceau house. Il n’y a pas de limite ! » déclare-t-elle.

Sortie le 3 mars 2023 – Label : InFiné

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