Toh Imago – Refuge

Après un premier album « Nord Noir », paru en 2019 sur InFiné, qui racontait la mine aux cadences infernales, bruit des machines et froideur mécanique, Toh Imago revient avec un nouvel opus définitivement plus solaire et nous déroule une palette de couleurs presque oubliées.

« Refuge » prend de nouvelles teintes et nous ouvre les portes de la forêt : enregistré dans les bois et serti de sons organiques, il nous convie dans ses mondes intérieurs et nous transporte dans un nouvel espace.

Mars 2020 : la France, comme une bonne partie de l’Europe, rentre chez elle, ferme les volets et se confine. Mais Toh Imago, lui, va prendre l’air. Fort d’un premier album de techno souterraine et industrielle, Nord Noir, qui allait explorer le passé minier de sa famille, le producteur a cette fois rejoint la surface et a pris le maquis, dans les bois, loin du marasme ambiant et anxiogène de la pandémie.

Avec son acolyte ingénieur du son Olivier Vasseur et à l’invitation des équipes du festival Nuits Secrètes, il part en résidence à l’orée de la forêt de Mormal, dans le Nord (toujours), afin d’y enregistrer son deuxième album. Forêt qui deviendra vite un personnage à part entière du disque, un cadre, un asile, une échappatoire, une complice. Car ce bois a offert ses sons à Toh Imago, chants d’oiseaux, bruissements de feuilles et grattements dans les cailloux, enregistrés selon la méthode du field recording que Thomas Hennebique, de son vrai nom, partage avec certaines de ses grosses influences, Burial en tête. Mais Mormal s’est aussi faite studio, où ont été enregistrés des synthétiseurs et des samples sublimés par la réverb’ si particulière qu’offrent les vieilles forêts. Une manière de faire converser monde intérieur et nature, introspection et reconnexion, cavalcade des machines et sons organiques.

Le résultat s’appelle naturellement Refuge. Un album techno dansant et lumineux, une grande respiration en réponse à une époque étouffante. L’anti-Nord Noir, presque : quand ce premier album plongeait dans le passé, Refuge parle bel et bien d’aujourd’hui, avec l’envie de remettre la nature et l’humain au centre de la conversation. D’où une palanquée de voix hantant de nombreux morceaux, syllabes isolées ou discours et dictées chipés sur ces vieux vinyles d’illustration que l’on peut trouver en brocante.

La balade boisée à Mormal se décline en trois parties. D’abord ‘Asile Sauvage’, ‘Sylve Barbare’ ou ‘Avril Mormal’, titre le plus dancefloor de l’histoire avec son acid sur rythme ternaire, accueillent l’auditeur dans ce bois techno. Mais une fois au cœur de la forêt, le voyage se fait plus intime, espace sacré n’appartenant qu’à chacun, seul avec sa respiration (‘Locus Neminis’ l’esprit perdu dans l’espace (‘Cosmos Intra’), pour un trip dont on atteint l’apogée avec ‘Monde intérieur’. Mais il faut bien finir par rentrer, sortir du bois, retourner avec ‘Fugue’ vers une réalité. Le tout accompagné par les chants d’oiseaux de ‘Chiff Chaff’, piafs que l’on peut entendre dans toutes les forêts du Nord.

Refuge est ainsi un plaidoyer à une ruralité chère à Toh Imago mais pas seulement, c’est avant tout une palette à partir de laquelle Toh Imago a joué tout autant sur le grain, sur les teintes ou les sonorités qu’il a voulu capter.

Preuve, s’il en est besoin, que la techno n’est pas l’apanage des urbains et des grands hangars, et que la fête en elle-même peut-être un refuge contre le monde, qu’elle se tienne en ville ou au fond d’un bois. De quoi donner du sens à cette musique de club, y compris dans les détails que l’oreille néophyte aura bien du mal à capter : toutes les machines de l’album sont accordées en La 432hz, un réglage inhabituel qui serait pourtant le « La » le plus naturel, porteur de bienfaits thérapeutiques, mystiques et en résonance avec la Terre.

Ce rapport à la nature et cette minutie se retrouvaient déjà dans les précédents projets de Toh Imago, à l’image de son travail sur l’habillage sonore du Louvre-Lens : le parc du musée a servi de terrain de jeu à Thomas, qui y a enregistré des sons d’ambiance perceptibles dans le ‘Komorebi’ de Refuge, décidément une invitation à ouvrir les portes des studios et des clubs.

Refuge est un disque en forme d’abri contre la laideur du monde, un voyage intérieur, une histoire contée dans les bois dont on ressort avec l’impression d’avoir perdu la notion du temps. Un sens de la narration proche de ses grandes références anglaises, Burial donc, mais aussi Boards Of Canada, Nathan Fake, Joy Orbison ou Koreless. Des fabricants d’ambiances, un club de conteurs électroniques racés et subtils que Toh Imago rejoint avec les honneurs au long de ce deuxième album fascinant.

Sortie le 20 janvier 2023 – Label : InFiné

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