VA – Digital Kabar

Electronic Maloya from La Reunion since 1980

Autrefois clandestin, aujourd’hui manifeste, à la fois sacré mais aussi profane, parfois médité, très souvent improvisé, le kabar transpire dans le quotidien réunionnais, se débarrassant avec insolence de toute étiquette qu’on ose lui imposer. Le kabar est une manifestation fugace mais bouillonnante d’une identité et d’une culture locale qui reste encore difficilement définissable. Un instant de vie et de partage où se mêlent instruments artisanaux, rencontres de quartier, danses rituelles et revendications lyriques. Une Réunion.

Digital Kabar est une compilation de musique électronique endémique à l’Ile de La Réunion, à la croisée des cultures, poreuse à toutes les expériences sonores. Les réunionnais manient le métissage avec virtuosité. Il est inscrit dans l’ADN de l’île, dans l’état d’âme de ses habitants, le « fonnkèr ». Elle est aussi le fruit d’une l’amitié qui lie InFiné au festival Les Electropicales, de la fascination d’une petite équipe dédiée à la cause musicale indépendante pour la scène musicale de l’île et sa diversité.   

Il y a de la musique partout à la Réunion mais le fond culturel est dominé par le maloya. Qui savait qu’une musique entière, avec ses rythmes et ses instruments, a été interdite sur le territoire de la République française au XXe siècle ? On ne parle pas de rap qui appelle à mettre le feu dans les cités. Simplement d’une musique entière, avec ses instruments, ses rythmes et ses paroles. Et avec elle, c’est tout un pan culturel nié et rejeté entre le début des années 1960 et 1981.

Le maloya s’est structuré au fil des siècles dans les plantations sucrières installées sur cette île qui ne fut peuplée que trois siècles plus tôt, en agglomérant des sonorités populaires venues avec les esclaves de Madagascar, d’Inde ou du Mozambique. C’était une musique de Noirs pauvres et de pauvres tout court, mêlée de croyances invoquées lors de nuits entières dédiées à cette transe sans fin. Une musique ombrageuse quand le séga était plus joyeux. Un langage très simple organisé principalement autour d’un chant repris en chœur, un tambour massif (le roulèr) et le kayamb, une percussion que l’on secoue fabriquée avec ce qu’on trouvait dans les champs de canne à sucre.

Au début des années 1960, en réaction aux troubles grandissants en Algérie, le gouvernement français promulgue un décret qui vise à éloigner des colonies les fonctionnaires ouvertement indépendantistes. L’interdiction du maloya qui s’en suit est une censure ouvertement politique face à une culture ouvrière devenue le porte-étendard du jeune Parti communiste réunionnais. Les textes en créole de Firmin et René Viry ou de la Troupe Gaston Hoarau constituent alors les plus puissants des tracts politiques disponibles sur l’île. Le maloya s’est renforcé et modernisé dans l’adversité et la clandestinité. Elle n’est ni une musique de vieux ni une musique figée, mais une fierté cruciale pour les créoles et une énergie fascinante qui se mêle à beaucoup d’autres musiques : le rap, la chanson, le reggae et donc les musiques électroniques.

Musiques de transe, musiques pour oublier et danser, la rencontre entre le kayamb et les machines semblait naturelle par l’esprit commun que partagent le maloya et la grande famille techno-house. Une différence fondamentale toutefois, le maloya s’organise en rythme ternaire ce qui rend son mariage avec la plupart des musiques de clubs qui préconise le binaire particulièrement difficile à enchaîner dans une même composition. Chaque artiste y est donc allé de ses tentatives au fil des décennies.

En 1985, c’est Ti Fock, le parrain inventif mais controversé d’un renouveau maloya qui se marie timidement à la pop internationale et défriche l’idée d’un frottement électronique avec son premier album, « Mafate ».

Dans les années 90, le paysage musical réunionnais accueille des nouveaux-venus qui vont tout changé : des teufeurs techno usés de jouer au chat et à la souris avec les gendarmes dans les champs boueux de la métropole et viennent chercher la terre promise pour poser leurs soundsystems à la réunion. Ils apportent avec eux du matériel et surtout une culture de la transe électronique qui rencontre le maloya comme on trouve un frère de sang.

L’abuse, qui intègre parfois des éléments locaux à ses longs sets techno volontairement minimalistes se démarque. Zong fait également partie des descendants directs de ce débarquement pacifique qui s’est aussi fortement nourri de dub. Sur ‘303 Militan’, Psychorigid décline minimalisme tropical bizarre entre une acid house et le balancement chaloupé d’un kayamb électronique. Kwalud associe lui dans son ‘Angel Choirs’ la chaleur du maloya à la brume du dubstep londonien, là le ‘Koloni’ de J-Zeus semble être taillé pour les after-parties au soleil levant. 

Longtemps, Jako Maron a pour sa part préféré le hip-hop aux musiques de son île, notamment avec son collectif Force Indigène. Mais réfléchir aux difficultés sociales de la Réunion ramène forcément aux musiques qui les ont les mieux exprimées. Avec ‘Barbaté Maloya’ ou dans un remix du chanteur Patrick Manent resté inédit, l’artiste peaufine à sa manière une fusion qui est devenue sa quête obsessionnelle.

Labelle avec son premier album « Ensemble », et ses projets sur InFiné, dresse des portraits sonores fascinants, d’une île de la Réunion des hauteurs jusqu’au rivage, de l’Ouest humide au Sud sauvage, et laisse entendre la respiration profonde du volcan qui fait aussi l’âme de l’île. Il livre avec ‘Block Maloya’ la définition même du post maloya  

Les musiques électroniques de la Réunion en sont là en cette année 2019. En quelques décennies de tâtonnements hésitants et une accélération soudaine, elles ont ouvert une nouvelle branche du maloya qui de demande qu’à bourgeonner encore et encore. C’est ce que cette compilation vient raconter ; abordons-là comme une étape et non pas comme un aboutissement.

 

Sortie le 21 juin 2019 – InFiné

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Tracklisting

  1. Patrick Manent – Kabaré Atèr (Jako Maron Remix) *
  2. Boogzbrown – Timbila *
  3. Loya – Malbar Dance
  4. Alex Barck Feat. Christine Salem – Oh Africa
  5. Jako Maron – Batbaté Maloya
  6. Sheitan Brothers – Gardien Volcan
  7. Ti Fock – Kom Lé Long (Do Moon’s Edit) *
  8. Boogzbrown & Cubenx – Butcha *
  9. Force Indigène & Jako Maron – Mazigador
  10. L’abuse – Ré-Union *
  11. Agnesca – Bilimbi *
  12. Maya Kamaty – Pandiyé (Loya Remix)
  13. Zong – Mahavel (South Africa Dub Studio)
  14. Labelle – Block Maloya *
  15. Psychorigid – 303 Militan
  16. Salem Tradition – Kabaré (Alma Negra Rework)
  17. J-ZeuS – Koloni *
  18. Kwalud – Angel Choirs *

* titres inédits